”Bien que Weber soit aujourd’hui encore une icône dans le panthéon des sciences sociales, ce fut John Wesley (1703-1791), l’homme de réveil et réformateur anglais, qui résuma la quintessence de l’éthique protestante, alors encore inconnue, un leitmotiv rassembleur et facile à saisir…”
Le tison arraché du feu
Né en 1703, il était le quinzième d’une famille de 19 enfants dont 9 survécurent au-delà de la petite enfance. Son père fut Samuel Wesley, prêtre anglican et sa mère Suzanne Wesley. A l’âge de 9 ans, il s’est échappé de justesse et de manière miraculeuse d’un incendie criminel qui s’est produit dans le presbytère d’Ephworth où lui et toute la famille vivait. N’est-ce pas le tison arraché du feu ? , se nomma-t-il plus tard en référence à son sauvetage.
A partir de cette douloureuse épreuve, Suzanne Wesley, femme pieuse et de discipline, était convaincue que Dieu avait un plan particulier pour l’enfant. C’est ainsi qu’elle le prenait particulièrement en charge en passant plus de temps avec lui que les autres enfants et en l’instruisant méthodiquement dans la Parole de Dieu. Voilà pourquoi, beaucoup d’historiens pensent que Suzanne peut être considérée comme étant la première professeure de théologie pratique, de formation spirituelle et d’éducation chrétienne de l’homme.
Nous connaissons cet homme comme étant celui qui parcourut 40 000 kilomètres à cheval pour répandre la Bonne Nouvelle dans sa génération. Il y eut une carrière de prédicateur de 40 000 sermons en raison de 40 sermons par semaine.
Nous connaissons aussi cet homme comme celui qui était contre la traite des esclavages, la corruption, aux taux d’intérêts excessif pour les prêts accordés aux pauvres et sur les autres produits de base de la vie économique de la Grande Bretagne au 18ème siècle et le trafic d’alcool.
Il était pour la réforme pénitentiaire. Il combattait de toutes ses forces pour de meilleures conditions de travail dans les factories. Il éduquait et nourrissait les pauvres.
Il était un homme de méthode et de discipline. Après sa mort, soit 100 ans plus tard, alors que la France sombrait dans la terreur, l’Allemagne, l’Australie, l’Italie dans la révolution, son pays, l’Angleterre, fut parmi les rares pays qui ne sombraient pas dans le chaos et la violence à cause de l’influence qu’il y eut.
Il s’agit bien de John Wesley, le réformateur anglais et homme de réveil. Mais, saviez-vous que John Wesley, à travers ses sermons, ses écrits et ses enseignements a posé les bases de l’éthique protestante du travail ? En d’autres termes, il a élaboré et véhiculé une vision biblique correcte de l’intendance ou de l’économie.
John Wesley et l’éthique protestante
Darrow Miller, essayant de comparer John Wesley au fameux sociologue allemand Max Weber, soutient :
Bien que Weber soit aujourd’hui encore une icône dans le panthéon des sciences sociales, ce fut John Wesley (1703-1791), l’homme de réveil et réformateur anglais, qui résuma la quintessence de l’éthique protestante, alors encore inconnue, un leitmotiv rassembleur et facile à saisir : Travaille aussi dur que tu peux ; économise autant que tu peux ; donne tout ce que tu peux.[1]
Il s’agit d’un triangle dont les côtés constituent trois maximes. Dans son sermon sur l’emploi de l’argent, John Wesley a tenu les propos suivants :
…Quel chemin, alors (je vous le redemande) pouvons-nous emprunter pour que notre argent ne puisse pas nous couler dans le tréfonds de l’enfer ? Il n’y a qu’un seul chemin, et il n’y en a pas d’autres sous les cieux. Si ceux qui “gagnent tout ce qu’ils peuvent “ et “épargnent tout ce qu’ils peuvent“, peuvent également “donner tout ce qu’ils peuvent“, alors, plus ils gagnent, plus ils croissent en grâce et plus de trésors ils amassent dans les cieux.[2]
Kenneth L. Carder écrit :
L’intendance est au cœur du réveil wesleyen, et John Wesley a estimé qu’elle fait partie des qualités requises à un disciple chrétien. C’était un thème constant dans ses prédications et dans ses expériences pratiques.[3]
Maxime no 1 : Gagne tout ce que tu peux
Dans la maxime gagne tout ce que tu peux, John Wesley encourage le respect de ce principe biblique fondamental : le travail. Il prône ainsi la formation du capital, ce que nous appelons aujourd’hui l’économie du marché.
En évoquant cette maxime, il fait aussi ressortir le principe du respect de la propriété privée, la responsabilité que chacun doit assumer dans le corps social en vue de son bon fonctionnement.
Dans cette dynamique de la formation du capital, l’homme doit se tenir devant Dieu comme un intendant responsable de la bonne gestion de la création. Il doit pouvoir travailler à l’image de son Créateur qui ne cesse de travailler même après avoir été reposé de Ses actes créateurs.
En travaillant, l’homme affirme sa dignité et glorifie le Dieu de la création. L’éthique biblique est très ferme sur ce point. Dans 2 Thessaloniciens 3 verset 10, Paul exhorte : « … Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. »
A souligner que le texte dit si quelqu’un ne VEUT pas travailler, pas si quelqu’un ne PEUT pas travailler. Ainsi, nous ne devons en aucun cas encourager la paresse et la mendicité. Envers ceux qui ne peuvent pas travailler, nous devons faire preuve de compassion.
En travaillant de manière assidue pour répondre à sa vocation, l’homme doit constamment songer le commandement de se souvenir du jour du repos. En d’autres termes, il ne doit pas idolâtrer le travail. Il doit plutôt s’épanouir dans son travail tout en évitant d’être pris au piège de la poursuite avide du succès jusqu’à briser sa relation avec Dieu, avec sa famille et autres. En tout, il doit viser la gloire de Dieu. Le réformateur et l’ancien premier ministre néerlandais Abraham Kuyper écrit :
Où que l’homme se trouve, quoi qu’il fasse, quelle que soit l’occupation de ses mains, dans l’agriculture, le commerce ou l’industrie, ou de son esprit, dans les arts ou la science, dans tout ce qu’il fait, il se tient constamment devant la face de Dieu, il est entièrement au service de Dieu, il doit strictement a son Dieu et par-dessus tout, il doit viser la gloire de Dieu.[4]
Voyons maintenant la maxime Economise tout ce que tu peux.
Economise tout ce que tu peux
Ici John Wesley encourage l’épargne ou tout simplement la sauvegarde du capital à la manière de la fourmi. En épargnant, l’homme fait preuve de sagesse, de prudence, de grande responsabilité et surtout de prévoyance, ne sachant pas en réalité de quoi demain sera fait.
Non seulement nous devons épargner pour faire face aux aléas de la vie et aux surprises de mauvais goût, mais également pour investir et multiplier son capital.
En évoquant cette maxime, John Wesley ne prônait pas une course folle et effrénée vers la richesse, mais un mode de vie responsable surtout vis-à-vis de l’extravagance et l’opulence. Il ne s’agit pas d’une invitation à accumuler tout simplement des richesses. Toujours dans son sermon sur l’emploi de l’argent, il souligne :
Epargnez autant que vous pouvez, en supprimant toutes les dépenses insensées qui ne servent qu’à satisfaire les désirs de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie. Ne gaspillez rien… au nom du péché ou de la folie, que ce soit pour vous ou pour vos enfants…
Une telle maxime prend aussi le contre-pied de l’hédonisme débridé de notre monde qui prône : mangeons, buvons et réjouissons-nous, car demain nous mourrons. Effectivement nous mourrons un jour. Mais, si nous ne faisons que consommer sans épargner, nous scellons notre pauvreté. Dans proverbes 21 verset 20, le sage nous dit : De précieux trésors et de l’huile sont dans la demeure du sage ; mais l’homme insensé les engloutit.
Maxime no 3 : Donne tout ce que tu peux
Par cette maxime, John Wesley encourage la distribution, la redistribution de la richesse ou tout simplement le partage du capital. Appliquant lui-même ce qu’il prêchait et enseignait, l’histoire retient ceci de John Wesley :
Etudiant à Oxford, il vivait avec 28 livres sterling par an. Lorsque ses revenus sont passés à 30 livres, il continua de vivre sur la base de ces mêmes 28 livres. Il a dit aux gens que, si à sa mort, il avait plus de 10 livres en sa possession, ils pourraient le traiter de voleur.[5]
Vous pouvez vous dire peut-être que le prédicateur a un peu exagéré ou il a fait vœux de pauvreté. John Wesley est souvent appelé prédicateur des pauvres. En réalité, Wesley maîtrisait la logique de l’intendance biblique ou tout simplement du don. Il ne nous invite pas à vivre comme il a lui-même vécu dans la modestie. L’essentiel est de pouvoir donner en retour de ce que nous avons reçu de Dieu, c’est-à-dire avoir un grand cœur pour soutenir les faibles, ceux qui ne peuvent pas travailler et tous ceux qui sont dans le besoin. Dans le même sermon, il poursuit :
L’argent est un excellent cadeau de Dieu, qui répond à des finalités les plus nobles. Entre les mains de ses enfants, il sert de nourriture pour les affamés, de boisson pour les assoiffes, de vêtement pour ceux qui sont nus. Il donne au voyageur et l’étranger un abri ou reposer la tête. Grace à lui, nous pouvons suppléer le mari de la veuve, et le père de l’orphelin ; nous pouvons servir de défense à l’opprimé, de canal de santé aux malades, de soulagement à ceux qui souffrent. Il peut être les yeux de l’aveugle, comme les pieds du boiteux ; oui un levier contre les portes de la mort.
Notre rapport avec l’argent dit beaucoup sur notre caractère, notre niveau de maturité spirituelle et notre relation avec Dieu. Nous ne sommes pas seulement appelés à former et épargner le capital, mais surtout à investir et donner avec joie et libéralité.
John Wesley ne faisait pas de la promotion pour le nivellement par le bas en interprétant avec maladresse les propos de Jésus, comme : heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. Au contraire, son approche était holistique. Il n’a pas seulement prêché l’Evangile, mais il a aussi éduqué et enseigné à travers les classes qu’il a fondées. D’après son bilan d’actions sociales, il fonda une clinique gratuite, une école, une coopérative de couture et un organisme de prêt aux pauvres.
Le rapport que John Wesley développait avec les pauvres était essentiellement motivé par l’amour. Il a compati à leurs faiblesses et besoins. En plus de les prêcher et enseigner, il leur montrait la voie à suivre pour qu’ils puissent gagner leur vie dans le respect et la dignité inhérente à leur statut de créatures et d’enfants de Dieu. Kennett L. Carder nous livre nous livre une perspective biblique du don dans la tradition wesleyenne en ces termes :
Donner puise ses racines dans l’essence même de Dieu. Donner est indispensable au discipolat chrétien. Donner suppose plus que les produits de notre labeur. Donner implique l’amitié avec les pauvres. Donner va plus loin que la charité individuelle pour bâtir des collectives de Shalom, des communautés d’indépendance, de justice et de compassion.[6]
Dieu, le plus grand des donateurs nous a tout donné. Il nous a donné ce qu’Il avait de plus cher à Lui, son Fils unique Jésus pour élever notre condition humaine et spirituelle11. A nous de donner en retour.
Dans 2 Corinthiens 6 versets 9 et 10, Paul nous invite sans cesse à faire le bien envers tout le monde, sachant qu’il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir (Actes 20 verset 35). Au grand psychiatre américain, Carl Meninger de souligner : « Donner est un critère de santé mentale. » Donner fait partie de notre morale chrétienne. A C.S. Lewis de soutenir ceci :
La charité, donner aux pauvres est une partie essentielle de la morale chrétienne… Je ne crois pas que nous puissions fixer combien nous devrions donner. J’ai grand peur que la seule règle valable soit d’offrir plus qu’on peut épargner… Si nos dons n’entrainent pour nous ni privation, ni gène, j’ose prétendre qu’ils sont trop faibles. Il devrait y avoir des choses que nous aimerions faire et auxquelles nous renonçons parce que la somme consacrée à nos buts charitables en exclut la possibilité.[7]
Jusqu’à quel point êtes-vous prêt à renoncer à des priorités personnelles pour voler au secours de quelqu’un dans le besoin ?
John Wesley à travers ses maximes nous fournit des pistes pertinentes pouvant nous aide à être plus intentionnels dans nos efforts de guérir les sociétés. Son cadre de réflexion est une preuve irréfragable de la pertinence des valeurs judéo-chrétiennes découlées de la Bible.
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Leçon essentielle à retenir : A la manière de John Wesley, nous devrions être la voix des sans voix de notre génération et servir avec notre influence pour changer nos communautés à la gloire de Dieu.
Question de réflexion : Etes-vous préoccupés par les maux qui rongent votre communauté ? Si oui, dans quel (s) domaine (s) Dieu vous invite-t-Il à apporter votre contribution et comment ?
Prière profonde : Père de gloire, je Te rends grâce pour la vie et l’œuvre de John Wesley. Je ne Te demande pas de m’aider à être comme lui, mais de m’aider à exercer une influence positive et remarquable sur ma génération. Je prends la résolution de vivre et de partager les valeurs de ton royaume. Car elles ont fait leur preuve à travers l’histoire. Ouvre les yeux de toute la communauté des croyants pour qu’elle en fasse de même. Mon pays a besoin des hommes et des femmes qui portent ta voix et ton message en vue de sa restauration dans toutes ses sphères. Au nom de Jésus je T’en prie. Amen !
[1] Darrow, Miller. Faites des nations mes disciples : clés pour une réforme de nos sociétés, Editions Jeunesse en mission, 2008, 246
[2] Centre Méthodiste de Formation Théologique. L’emploi de l’argent,Edition numérique © Yves Petrakian, Juillet 2003
http://www.cmft.ch/fr/j.-et-ch.-wesley—sources/no.-50—lemploi-de-largent.html
[3] Kenneth L. Carder. John Wesley, sermon tenu en 1789, L’emploi de l’argent/ John Wesley et le don, 17 Janvier 2017
[4] Abraham Kuyper, cité par Darrow Miller, p. 246.
[5] Kenneth L. Carder
[6] Kenneth L. Carder
[7] C.S. Lewis, cité par Darrow, p. 255.