Cet article explore comment la vision chrétienne du monde influence la mission de l’Église. Tout en explorant les autres grandes visions du monde, il introduit le concept de vision du monde et pose la question: « En quoi la vision chrétienne du monde influence-t-elle notre approche de la mission de l’Église ? »
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Deux expressions courantes, qui nous sont familières en des termes divers, reflètent la notion de vision du monde: ça dépend des lunettes que vous portez. Si vous portez des lunettes roses, vous verrez tout en rose. Si vous portez des lunettes noires, vous verrez tout en noir. Ou, ça dépend de votre perception de la réalité, de votre interprétation de la réalité, de votre interprétation des faits et des événements. Ça dépend de votre arrière-plan, etc.
En fait, ce sont des expressions qui reflètent cette notion de vision du monde. Car, de manière consciente ou inconsciente, nous sommes tous guidés par une vision du monde. En d’autres termes, nous sommes tous influencés de manière consciente ou inconsciente par une vision du monde. Il s’agit des présuppositions, d’une référence morale, philosophique, spirituelle, religieuse et autre. Plusieurs synonymes sont évoqués pour parler de vision du monde, même s’il n’existe pas de vrai synonyme. Entre autres, on peut citer : représentation du monde, représentation sociale, conception du monde, infrastructure mentale, système de croyances sacrées, hypothèses religieuses, acte cognitif pré-analytique, de méta-récit ou histoire culturelle. Dans une perspective marxiste, on entendrait surtout le concept d’idéologie et chez les scientifiques paradigme.
Définition de vision du monde
La racine allemande du concept de vision du monde est Weltanschauung, composé de deux mots, welt, qui signifie monde, et anschauung, qui signifie vision, opinion, représentation.
Essayons à présent de voir une définition un peu plus technique et élaborée par James Anderson. Selon James, une vision du monde est un réseau tissé des croyances fondamentales, présuppositions, valeurs et idées à propos de l’univers et de notre place dans celui-ci, qui modèle la manière dont un individu comprend sa vie et ses expériences, et la vie et les expériences des autres, la manière dont cette personne se comporte en conséquence.
Plusieurs éléments nous interpellent dans cette définition. Le premier élément c’est que chaque individu a sa propre conception de l’univers en fonction de ses croyances et de ses valeurs. Chacun a sa manière d’interpréter, de comprendre l’univers et ses expériences, lettré ou illettré, de manière consciente ou inconsciente. La première notion qui entre en ligne de compte dans ce cas est celle de valeur. C’est-à-dire que nous fondons notre vie, nous prenons des décisions en fonction de nos valeurs, de notre référence éthique ou morale.
La deuxième notion est la croyance. La croyance est extrêmement importante à ce niveau, en termes de vision du monde. Il y a deux grands vecteurs de vision du monde, il y en a bien d’autres, bien entendu. Il s’agit de la religion ou des religions, et de la science ou des sciences.
Par rapport à la croyance, un chanteur a dit: « Ta manière de vivre dans le monde est nécessairement une expression de tes croyances. » C’est une manière de dire que nos décisions, nos interprétations sont influencées par nos croyances et par nos valeurs.
La troisième notion concerne nos idées. Nos idées ou nos présuppositions ont des conséquences sur notre manière de vivre. Comme l’a dit Max Weber, les idées ont des conséquences. Notre philosophie de la vie, notre manière de voir la vie, influence notre manière de vivre.
Catégories de vision du monde
Il existe plusieurs visions du monde. Nous essayons de les classer en trois catégories. Nous devons toutefois faire très attention à ces catégories, parce qu’entre ces visions du monde, il y a évidemment des nuances qu’il faut bien cerner. A noter qu’une vision du monde est une façon de voir la réalité. C’est dans ce contexte que Darrow Miller écrit: « Nos valeurs et nos comportements (ainsi que leurs conséquences) découlent tous de nos hypothèses de base quant à la réalité[1].
Le monde séculier/ Le matérialisme
La première catégorie, c’est la vision du monde séculier. Dans cette catégorie, on peut retrouver le déisme, le naturalisme, le nihilisme, l’existentialisme et le postmodernisme.
Ces visions du monde, influencées par les philosophes des lumières du XVIIIe siècle sous l’appellation d’humanisme séculier, prônent une approche anthropocentrique, c’est-à-dire elles placent l’homme au centre de tout. C’est la science qui détermine ce qui est vrai et la réalité. La réalité et la vérité, selon ces visions du monde, existent seulement dans le monde physique. Ce que nous connaissons par le sens physique est la réalité. Dans ce cas la science, plus précisément la matière, devient la norme ou la réalité ultime. Ainsi tous les êtres, processus et phénomènes ne s’expliquent que comme manifestations de la matière. C’est une tendance à déifier la science.
Des variantes de la vision séculière
Matérialisme scientifique: Tendance prônant l’éternité de la matière et qu’en dehors de celle-ci rien d’autre n’existe.
Naturalisme: Doctrine philosophique ou mouvement littéraire, qui soutient que tout est d’origine naturelle et qu’en dehors de la nature ou de la matière rien n’existe. La nature est le premier principe de la réalité. Le naturalisme nie l’existence de Dieu, considère l’être humain comme une machine et prône une éthique selon laquelle vous n’avez qu’à faire tout ce qui est bénéfique et créer de l’harmonie. Le Marxisme en un exemple.
Nihilisme: Appelé aussi relativisme, est un phénomène, une théorie philosophique propre à l’époque moderne. Cette vision du monde nie l’existence de Dieu, croit que seule la matière existe, affirme l’absurdité de la vie, l’inexistence de la morale et de la vérité et qu’on ne peut rien connaître. Nietzsche est le précurseur de cette pensée.
Post-modernisme: Concept difficile à définir, le post-modernisme peut se définir comme un mouvement contemporain apparut à la fin des années 70 en architecture, en réaction au modernisme. Il nie l’existence de Dieu, prône le relativisme moral dans le sens que ce qui est correct est déterminé par la société et que l’homme est ce qu’il décide d’être.
Les postmodernistes se méfient de la raison et n’affichent aucun souci de connaître la vérité. Ce que nous décidons correct est correct et ce que nous décidons vrai est vrai, en est un slogan frappant.
Déisme: Ce terme est souvent décrit comme une croyance ou une doctrine selon laquelle, Dieu, être impersonnel, après avoir fini de créer l’univers l’a abandonné en le laissant fonctionner comme une grosse horloge. Les déistes croient dans un univers fermé, un grand mécanisme dont l’homme fait partie et rejettent toute révélation.
L’animisme
La deuxième catégorie est l’animisme, le Nouvel Age (The New Age) dans sa forme moderne.
Le terme vient du latin « animus », signifiant « âme, esprit ». Il s’agit d’une vision du monde qui soutient que tout dans la nature est habité par des esprits. Tout ce qui existe dans l’univers possède une âme, c’est-à-dire le principe vital qui lui permet de remplir certaines fonctions. Les arbres possèdent une âme végétative, les animaux une âme appétitive et les humains une âme rationnelle. C’est ce qu’on retrouve dans la philosophie aristotélicienne.
Les animistes croient dans l’existence d’un seul Dieu créateur exerçant sa domination sur un panthéon de divinités. Ils croient que les petits dieux (du climat, de la santé, de la fertilité, par exemple) influencent le quotidien des hommes.
Contrairement aux chrétiens, les animistes croient que la divinité créatrice n’est pas proche de l’homme. Après avoir fini de créer le cosmos, elle se repose pour laisser travailler les ancêtres et les esprits, selon la pensée de René Tabard.
Selon le théologien Pierre Diarra, l’animisme est une religion dans le sens qu’elle a une croyance (en un Dieu créateur), des rites et une éthique (des normes de conduite)[2].
Cette religion, composée des entités comme le chamanisme et le Vaudou, est souvent associée à des pratiques de sorcellerie, de magie et de superstition. Elle est une forme de panthéisme
Certaines recherches montrent qu’aujourd’hui 40% de la population mondiale est animiste. Cette vision du monde pense qu’il existe une cause spirituelle derrière tout événement. Les esprits contrôlent tout. L’homme cherche à influencer et manipuler les esprits à sa cause. Par conséquent, cette vision du monde développe une espèce de fatalisme. On entend souvent dire que l’on ne peut rien changer, que l’on ne peut rien faire. Cela conduit également à une espèce de superstition.
On retrouve cette tendance fataliste, du point de vue de la moralité, dans l’hindouisme et les autres religions panthéistes, lesquelles fusionnent le bien et le mal (le yin et le yang). Ainsi, selon le karma, toute souffrance est considérée comme la juste rétribution des péchés commis dans une vie antérieure. Par conséquent, logiquement, en luttant contre cette loi, on ne fait qu’empirer la souffrance. Car dans l’animisme la réalité est essentiellement spirituelle. Le monde physique est maya (illusion).
Le théisme biblique/ Vision chrétienne du monde
La troisième catégorie est la vision chrétienne que l’on appelle aussi cosmovision chrétienne ou théisme biblique. Selon Matthieu Girard, la vision chrétienne du monde peut se comprendre ainsi: « C’est voir comme Dieu voit, pour vivre comme Dieu veut. » Simple, mais extrêmement profonde comme définition.
Nous sommes appelés à voir tel que Dieu voit, pour faire ce que Dieu veut. Nous sommes appelés à voir le monde tel que Dieu le voit, à voir les humains tel que Dieu les voit et à voir l’écologie, l’environnement, les animaux tel que Dieu les voit. Bref, nous sommes appelés à porter des lunettes divines pour comprendre et interpréter la réalité.
Dr Richard Ramsey nous fournit une définition beaucoup plus élaborée dans son ouvrage Intellectual Integrity (Intégrité intellectuelle).
Une vision chrétienne est une mentalité constituée de présuppositions bibliques pour penser à tous les aspects de la vie. Cela est appelé “un esprit chrétien”, “une philosophie chrétienne’, un “Weltanschaung” (Allemand) ou ‘une cosmovision chrétienne”. C’est un processus dans lequel le Seigneur nous guérit de notre “maladie” de “schizophrénie intellectuelle”.
Une vision chrétienne n’inclut pas toutes les réponses, mais plutôt des directives pour la réflexion, basées sur des enseignements bibliques. Il nous ramène au point de référence de notre base chrétienne pour parler de n’importe quel sujet. Cela signifie de réfléchir d’une manière chrétienne au sujet de tout. En d’autres termes, cela signifie de mettre les lunettes chrétiennes pour voir le monde.[3]
Essayons maintenant de comprendre cette définition du Dr Ramsey. Le premier élément à considérer est le fait de l’existence d’une mentalité ou pensée chrétienne. En fait, il devrait exister une mentalité chrétienne. Existe-t-il une mentalité chrétienne? C’est un peu difficile de répondre à cette question parce qu’on ne peut pas trouver en réalité une mentalité chrétienne élaborée et acceptée par tout le monde, ou bien par la chrétienté. Cependant, en étudiant la Bible, nous pouvons construire une mentalité chrétienne, ou bien une mentalité biblique.
Le deuxième élément qui nous intéresse, c’est la Bible. La Bible est au centre d’une pensée chrétienne. D’où la nécessité d’étudier de manière profonde la Bible.
Le troisième élément est qu’une vision chrétienne du monde est englobante, holistique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Une vision chrétienne du monde tient compte de tous les aspects de la vie. Elle ne tient pas seulement compte des questions théologiques.
Voilà pourquoi, dans sa définition, Dr Ramsey parle de schizophrénie intellectuelle. Qu’est-ce qu’il entend par schizophrénie intellectuelle ? En fait, il évoque ce concept pour parler d’une double personnalité, d’une vision dichotomique que beaucoup de chrétiens entretiennent. C’est-à-dire, quand nous essayons d’interpréter ou de comprendre des éléments ayant rapport avec la science, avec les mathématiques, avec l’histoire, avec le droit, avec l’économie, nous disons que cela n’a aucun rapport avec la foi chrétienne ou la Bible tout simplement.
Il s’agit d’une double personnalité. De manière courante, nous trouvons des personnes chrétiennes, par exemple, des commerçants dits chrétiens, qui vous diront : « Ecoutez, ici, ce n’est pas le chrétien, c’est le businessman. » Ou bien un avocat dit chrétien pourrait vous dire: « Ici, ce n’est pas le chrétien, c’est l’avocat qui est là. »
Donc, il y a cette dichotomie entre le séculier et le spirituel qui fait que nous ne développons pas une vision chrétienne qui tient compte par exemple du droit, de la politique, de la science, des mathématiques, etc. Nous essayons de développer une double personnalité. Pour des questions théologiques, nous nous référons à la Bible, mais pour des questions ayant rapport à d’autres sujets, nous serpentons en disant que cela n’en a rien à voir.
Nous avons totalement tort de penser de cette manière. Nous le faisons pour beaucoup de domaines, notamment par rapport à la culture et à l’art. Il s’agit d’une vision mitigée et totalement faussée de la foi chrétienne.
Selon Darrow Miller, le théisme biblique, ou la vision biblique du monde, soutient que puisque Dieu existe, il y a une réalité objective que l’on peut connaitre et que Dieu a établie. La réalité est, en définitive, personnelle parce que la Personne ultime en est l’auteur.[4] Ainsi, nous pouvons voir une très nette différence entre les trois visions du monde. Pour la vision séculière (le matérialisme), la réalité ultime est matérielle, tandis que pour l’animisme elle est essentiellement spirituelle.
Articulation biblique de la vision chrétienne du monde
Une vision chrétienne du monde s’articule sur l’histoire racontée par la Bible à partir d’un schéma classique, à savoir création, chute, rédemption et glorification. Essayons de définir brièvement ces éléments.
1) Nous croyons que l’univers a été merveilleusement créé par une intelligence suprême. Dieu a déclaré que la nature était bonne.
2) En ce qui concerne le péché, nous croyons que le monde va mal. Nous vivons dans un monde déchu, en rébellion ouverte contre le Créateur.
3) Nous croyons que le sacrifice de Jésus-Christ, la croix, procure une espérance vivante et merveilleuse. Il est mort pour le pardon de nos péchés. C’est la rédemption.
4) Nous croyons qu’un jour le ciel et la terre disparaîtront dans leur globalité. Ainsi, il y aura de nouveaux cieux et une nouvelle terre sans péché. Tous les rachetés seront glorifiés.
Interpellation
Qu’est-ce que la Bible nous exhorte par rapport à une pensée chrétienne? Deux versets doivent nous interpeler quand nous parlons d’une pensée chrétienne: Romains chapitre 12 verset 2 et 2 Corinthiens chapitre 10 verset 5.
Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait. Romains 12:2
Nous renversons les raisonnements et toute hauteur qui s’élève contre la connaissance de Dieu, et nous amenons toute pensée captive à l’obéissance de Christ. 2 Corinthiens 10:5
Le dernier verset est formidable. On peut considérer le premier verset comme étant le centre de l’éducation chrétienne ou d’une philosophie de l’éducation chrétienne.
D’une part, ces deux versets principaux invitent à l’Église à faire beaucoup attention pour ne pas développer et encourager la schizophrénie intellectuelle. C’est-à-dire avoir une vision bornée, une vision dichotomique des faits ou de la réalité pour séparer la foi chrétienne des autres sujets. Nous devons faire attention pour ne pas considérer la Bible comme un manuel de science, un manuel d’histoire, ou comme un livre magique qui nous donne des réponses toutes faites à toutes nos questions. Dans la Bible, nous pouvons trouver des éléments, des pistes, des présuppositions qui pourront nous permettre de nous positionner et d’interpréter les faits ou bien la réalité.
D’autre part, nous devons faire attention pour ne pas cultiver ce qu’on appelle le syncrétisme. C’est-à-dire pour ne pas essayer de mélanger le Christianisme avec, par exemple, l’animisme, comme ça a été le cas en Haïti, en Amérique latine, en Afrique et dans d’autres parties du monde.
Conclusion
La vision chrétienne du monde influence profondément notre approche de la mission de l’Église. Elle fournit un cadre théologique et éthique qui guide et motive l’Église dans sa mission. Elle influence la manière dont l’Église évangélise, sert la communauté, œuvre pour la justice et vit en communion, tout en maintenant une espérance eschatologique qui oriente ses actions vers la réalisation du Royaume de Dieu.
C’est notre vision chrétienne du monde qui nous sensibilise davantage à nous engager dans la mission rédemptrice, étant convaincus de la déchéance de l’humanité et de l’efficacité du sang de Jésus-Christ pour résoudre le problème du péché. Quand les missionnaires (les chrétiens) ne portent pas de lunettes chrétiennes, leur vision de la mission est défectueuse, par conséquent dangereuse et charnelle.
[1] MILLER, Darrow (2008). Faites des nations mes disciples : clés pour une réforme de nos sociétés, Editions Jeunesse en mission, p.77
[2] Pour plus d’éclairages, consultez ce lien : https://www.la-croix.com/Journal/Lanimisme-2018-06-02-1100943817
[3] Richard Ramsay. Intellectual Integrity, p.11
[4] MILLER, Darrow (2008). Faites des nations mes disciples : clés pour une réforme de nos sociétés, Editions Jeunesse en mission, p.38