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Une brève histoire du Christianisme en Amérique Latine

Une brève histoire du Christianisme en Amérique Latine est un article qui propose une vue panoramique de la multiple facette du Christianisme dans cette partie du monde, écrit par Windel B. Etienne, inspiré de l’ouvrage de Douglas Jacobsen.

cathedral, church, dom-3457933.jpgL’histoire du Christianisme en Amérique latine est à la fois fascinante et déconcertante. Elle constitue un miroir dans lequel on peut aisément lire tous les épisodes d’une religion qui a su montrer ses multiples facettes à travers l’usage qu’en ont fait les religieux et les politiques qui l’ont portée à ses débuts. Dans ce contexte, Ondina E. González & Justo L. González soutiennent :

Comme partout dans le monde, et dans certains cas davantage, le Christianisme en Amérique Latine est riche, et complexe. Son histoire comprend des centaines d’individus qui ont fait l’objet de monographies minutieuses. Parmi ces figures figurent des missionnaires dévoués, des chercheurs de fortune, des mystiques, des martyrs, des charlatans, des évangélistes, des dictateurs, des visionnaires et bien d’autres encore.[1]

Alors que le Christianisme est en déclin dans certaines régions du monde, comme l’Europe, l’Amérique latine compte à elle seule 40 % des chrétiens catholiques du monde. C’est une région où le catholicisme et le protestantisme coexistent, mais historiquement, ils ne font pas bon ménage. Jacobsen a écrit :

Le Christianisme en Amérique Latine ne se limite toutefois pas au catholicisme. Près de 100 millions de chrétiens évangéliques latino-américains (protestants et pentecôtistes) vivent désormais côte à côte avec leurs voisins catholiques, et ces chrétiens évangéliques bouleversent la dynamique religieuse de la région.[2]

Représentant un quart de la population chrétienne mondiale, l’Amérique Latine nous offre une bonne voie pour explorer un vaste champ qui reste d’intérêt pour mieux comprendre comment le christianisme a réussi à s’imposer dans cette partie du monde. Nous soutenons la thèse selon laquelle l’expansion du Christianisme en Amérique Latine est due à son instrumentalisation par ceux qui l’ont porté et imposé, à sa réappropriation mixte par les autochtones et les esclaves venus d’Afrique, et à des contextes politiques, culturels et socio-économiques favorables.

Nous tenterons d’abord de montrer comment le Christianisme a été utilisé par les esclavagistes européens sous la bénédiction catholique pour mettre en place l’industrie esclavagiste. Ensuite, nous nous intéresserons à la cohabitation du catholicisme et du protestantisme, notamment les églises évangéliques (evangélico Christians) et la montée du pentecôtisme. Enfin, nous tenterons de comprendre ce qui constitue un terrain fertile pour l’expansion rapide du mouvement pentecôtiste en Amérique Latine, tout en analysant ses avantages et ses inconvénients dans le contexte contemporain.

L’instrumentalisation du Christianisme par les esclavagistes européens chrétiens

Le Christianisme a été un instrument très puissant utilisé au profit du commerce des esclaves en Amérique Latine (de la fin des années 1400 aux années 1820). Il a été introduit dans cette partie du monde dans un contexte historique particulièrement difficile, lorsque les grandes nations européennes étaient engagées dans une lutte pour conquérir ce qu’elles considéraient comme le nouveau monde. Leur intention première, le Royaume d’Espagne et le Royaume du Portugal, n’était pas d’apporter l’Évangile, mais de faire de la politique en soumettant les populations à des règles injustes et infernales en revendiquant un droit divin conféré par la Bible pour s’approprier leurs terres.

En 1455, le pape Nicolas V publia un document appelé Romanus pontifex qui autorisait les souverains catholiques à s’emparer des terres des “païens” et à réduire en esclavage les habitants locaux, à condition que le but ultime soit la conversion.[3]  Cette adhésion ouverte de l’Église à travers ce document ignoble à la machine infernale esclavagiste trouvait dans une manière très habile d’imposer leur propre vision du monde comme la meilleure à travers un discours maladroit de l’interprétation de la Bible. Selon Hans-Jürgen Prien, la bulle Romanus pontifex de 1455 réunit les droits à la souveraineté, les droits économiques et l’obligation d’accomplir une mission. Le lien entre la colonisation et l’évangélisation allait devenir une caractéristique de l’expansion portugaise et, plus tard, castillane outre-mer.[4]

Dans cette dynamique, l’Église était un partenaire fidèle de l’État en Amérique Latine. Ainsi, la différence entre les deux entités n’était pas possible à établir. Selon Jacobsen, les autorités politiques, et non le pape, supervisaient l’activité missionnaire, établissaient les diocèses, nommaient les évêques et réglementaient toutes les autres questions relatives à la vie de l’Église…[5]

Aujourd’hui, nous sommes en droit de nous demander comment un responsable d’église a pu cautionner une telle entreprise et au nom de l’interprétation de quel texte biblique. Il semble que l’aventure du peuple juif depuis l’Egypte jusqu’à son entrée à Canaan en passant par la conquête des territoires sous l’ordre de Dieu de ses habitants ait servi de cadre de référence biblique au Pape.

En raison de l’épuisement de la main-d’œuvre indigène et de sa disparition massive, accablés par le fardeau des maladies importées d’Europe, notamment dans les Caraïbes, les Espagnols et les Portugais se tournent vers l’Afrique pour poursuivre l’entreprise.

Cependant, quelques voix s’élevèrent pour défendre la cause des indigènes appelés Indiens, comme Bartolomé de Las Casas, un prédicateur dominicain, à travers la publication de son Court récit de la destruction des Indiens en Espagne en 1552, même si aujourd’hui on peut se demander qui défendit réellement la cause des Noirs venus d’Afrique dans des conditions infrahumaines, placés pour la plupart dans des plantations aux Caraïbes, au Brésil, mais aussi au Mexique, en Amérique centrale, etc.

Entre 1650 et 1860, plus de dix millions d’esclaves africains ont traversé l’Atlantique. L’Église a porté un message empreint de racisme, de complexités raciales et religieuses et de préjugés, non seulement dans la rhétorique mais aussi dans la pratique. Ce message a été interprété et réapproprié par les indigènes et les esclaves africains, qui étaient considérés comme incapables de produire une pensée et une connaissance profondes à leur manière. Jacobsen affirme :

Souvent, les sites des rituels religieux locaux étaient choisis pour accueillir les nouvelles églises afin de maintenir un sentiment de continuité géographique dans l’histoire religieuse de la région. Les populations autochtones et les esclaves africains ont ajouté leurs propres fusions à ce mélange, combinant des pratiques et des croyances religieuses non chrétiennes avec des morceaux de christianisme pour créer de nouvelles idées et de nouveaux rituels qui les ont aidés à faire face à l’expérience désorientante de la conquête, de la colonisation et de l’esclavage.[6]

Cette combinaison, très souvent entre le spiritisme africain et des fragments de croyances indigènes[7], souvent appelée syncrétisme, a donné naissance à un Christianisme populaire en Amérique Latine.

Catholicisme contre protestantisme (chrétiens évangéliques)

Le début du vingtième siècle est marqué par les indépendances successives de différents pays d’Amérique Latine. Les révolutionnaires, notamment Simon Bolivar, étaient convaincus que l’objectif des Européens était de mettre à genoux cette partie du monde en l’exploitant. Cependant, certains d’entre eux, tout en promouvant la révolution, voulaient préserver l’héritage religieux, c’est-à-dire le statu quo. L’Église catholique, quant à elle, était très réticente à l’idée de révolution, la considérant comme un péché et un acte de rébellion contre Dieu. Un tel mouvement était soutenu par le pape Pie VII qui a ordonné son éradication en Amérique latine. Dans ce contexte, Jacobson écrit :

Si la hiérarchie de l’Église était résolument anti-révolutionnaire, ce n’était pas nécessairement le cas de l’Église catholique dans son ensemble. La plupart des évêques latino-américains étaient d’accord avec le pape et soutenaient pleinement ses efforts visant à écraser les révolutions et à maintenir la domination coloniale, mais les attitudes politiques des prêtres et des religieux étaient beaucoup plus diverses…[8]

C’est dans cette dynamique que des pays comme le Guatemala, l’Équateur, le Honduras, le Nicaragua et le Venezuela ont successivement signé avec le pape des concordats sur le statut et les droits de l’Église à l’intérieur de leurs frontières. C’est pourquoi, jusqu’à aujourd’hui, un domaine comme l’éducation reste entre les mains de l’Église catholique dans certains pays d’Amérique latine. Cependant, d’autres pays comme l’Argentine, le Brésil, le Chili et le Mexique ont été laissés à l’écart de ce processus. Cette relation entre l’Église et l’État a varié en fonction des partis et des tendances politiques. L’Église se concentrait sur ses propres besoins institutionnels, et les laïcs étaient encouragés à “payer, prier et obéir“.[9]

C’est en 1829 que le pape Léon XIII a convoqué le premier Conseil plénier latino-américain des évêques où, pour la première fois, les évêques d’Amérique latine étaient réunis. Mais plus tard, en 1920, une tragédie allait se produire avec l’assassinat d’Óscar Romero du Salvador, devenu archevêque en 1977, dans une église de San Salvador. Il défendait la cause des pauvres et dénonçait l’injustice sociale et la cupidité des riches.

C’est dans cette atmosphère tumultueuse avec la montée du marxisme et des dictatures dans la région que le mouvement de la Théologie de la Libération est né entre les années 1970 et 1980, proposant un autre paradigme dans la relation entre théologie et action sociale. Cette combinaison de doctrine et d’activisme, appelée praxis, pousserait l’Église à s’impliquer dans les affaires sociales pour changer les conditions de vie.  Sans surprise, un tel mouvement n’a pas eu la bénédiction de l’Église, notamment des papes Jean-Paul II et Benoît XVI.

Peu à peu, le protestantisme a émergé pour façonner le paysage religieux en Amérique latine. Selon M. Jacobsen, aujourd’hui, près de 15 % de la population du continent peut être considérée comme évangélique, et dans des endroits comme le Brésil et le Nicaragua, les pourcentages sont beaucoup plus élevés.[10]  Cette croissance est due au mouvement pentecôtiste, présent en Amérique latine depuis le début du vingtième siècle.

Au moins 80 % des évangéliques d’Amérique latine sont désormais pentecôtistes et seuls 20 % ou moins restent traditionnellement protestants.  Représentant aujourd’hui 80% de la population du continent, le catholicisme n’a pas apprécié cette croissance et a décidé de passer à l’attaque à travers le mouvement charismatique au point que le pape a qualifié ce mouvement d'”invasion des sectes”. Une telle dénonciation est entendue par les catholiques les plus fervents, comme par exemple au Mexique, où une opposition à l’évangélisation par les évangéliques est formellement affichée.

Un terrain fertile pour l’expansion rapide du mouvement pentecôtiste en Amérique Latine

Citées par Frans Wijsen et Robert Schreiter, les églises pentecôtistes constituent le groupe d’églises qui connaît la croissance la plus rapide dans le christianisme d’aujourd’hui, avec une augmentation de 19 millions de personnes par an (Jenkins, 2002, p.63). (Néo) Les églises pentecôtistes, dans toute leur diversité, représentent déjà un quart de tous les chrétiens du monde (Anderson, 2004, p.1).[11]  Il est donc évident que le mouvement pentecôtiste est plus largement répandu en Afrique et en Amérique latine.

Un pays comme le Brésil, où se mêlent catholiques, pentecôtistes, pratiquants des religions afro-brésiliennes nouvellement légalisées et laïcité, compte une très grande proportion de chrétiens, non seulement en Amérique latine, mais aussi dans le reste du monde. À l’heure actuelle, le Brésil compte environ 65 % de catholiques, 20 % d’évangélistes, 10 % de non-affiliés et 5 % d’adeptes d’autres religions.[12]

Malgré l’influence de la théologie de la libération qui insiste sur la vocation libératrice holistique de l’Évangile (injustice socio-économique, culturelle et spirituelle), l’Amérique latine reste une partie du continent américain où règnent la pauvreté, l’injustice sociale, le banditisme et les stupéfiants. C’est dans un tel contexte que le pentecôtisme, explosé dans les années 1980 et 1990, avec sa croissance démographique rapide dans les zones urbaines, va s’épanouir en prônant une forme de libération, notamment spirituelle. Jacobsen écrit : ” Le pentecôtisme se développe parmi les masses urbaines appauvries d’Amérique latine parce qu’il n’est pas seulement une église pour les pauvres mais aussi une église des pauvres. [13]

Le cas de l’Amérique latine montre que, naturellement, l’Évangile s’enracine davantage dans les couches les plus défavorisées et marginalisées de la société. Elles trouvent un espace pour s’exprimer et pour espérer. Comme l’a écrit Ȯscar Romero, le monde réel des pauvres nous enseigne l’espérance chrétienne. L’église prêche un nouveau ciel et une nouvelle terre. Elle sait, en outre, qu’aucun système sociopolitique ne peut remplacer la plénitude finale donnée par Dieu.[14]

Cependant, la théologie de la libération reste une particularité dans l’histoire du Christianisme en Amérique Latine. Cette cause est embrassée non seulement par les pentecôtistes, mais aussi par les catholiques. Selon M. Jacobsen, presque toutes les églises de la région s’accordent à dire que la libération spirituelle est aussi importante que la libération de l’oppression économique et des préjugés raciaux, et la plupart considèrent que les trois sont intimement liées.[15]  Aujourd’hui, le pape François, premier pape d’Amérique latine, embrasse la même cause en manifestant sa sympathie pour les pauvres et en popularisant la nécessité pour les chrétiens d’être des instruments de Dieu pour guérir un monde malade qui a besoin de compassion.

En somme, nous avons vu que l’histoire du Christianisme en Amérique Latine est une véritable école pour comprendre non seulement le mouvement colonial, entrepris et imposé avec la “bénédiction” de l’Église catholique romaine, mais aussi les différentes phases de l’Église. C’est une histoire qui donne froid dans le dos lorsque l’on considère ses débuts. L’Église, qui était censée être la voix des sans-voix, a été impliquée dans la traite des esclaves jusqu’au plus profond d’elle-même. Cependant, différents mouvements religieux sont apparus en Amérique latine pour faire de cette partie du monde un bastion du Christianisme, malgré les défis qui restent à relever pour la libération complète des peuples. Pour corroborer cette idée, je ne peux m’empêcher de citer à nouveau Hans-Jürgen Prien en ces termes :

En fin de compte, l’historien ne peut que constater avec étonnement que le message de l’évangile a réussi à s’enraciner en Amérique latine et dans les Caraïbes, en dépit de toutes les perversions de ce message par ses porteurs, que ce soit par la conquête violente, la conversion obligatoire, l’imposition de la culture occidentale avec tous les maux qui l’accompagnent tels que l’esclavage, le travail forcé, la discrimination raciale et l’ethnocide, ainsi que toutes les formes modernes d’exploitation et de vol des terres au sein de la population indigène, des Afro-Américains réduits en esclavage, de leurs descendants et des métis. L’histoire de l’Amérique Latine regorge de chrétiens qui ont pris position contre les falsifications du Christianisme.[16]

L’espérance transcendante, comme l’appelait Ȯscar Romero, doit être proclamée dans la puissance de l’Esprit Saint. Si le phénomène de migration vers les grandes villes, avec des populations en grand besoin, a grandement facilité la montée du pentecôtisme dans les années 1980 et 1990, et jusqu’à aujourd’hui au point de penser que tout le continent pourrait devenir post-catholique, le message de l’Évangile doit garder son vrai sens et l’Église sa vraie mission.

L’Église en Amérique latine a aujourd’hui une grande opportunité de se racheter après avoir été complice des préjugés, du racisme, de l’inégalité et même de la barbarie. Malgré les tensions qui existent souvent entre catholiques et protestants sur le continent et les défis liés au mouvement œcuménique, la lutte pour la libération intégrale, comme l’appelle Maritza Leȯn, doit se poursuivre. L’Église doit être plus consciente de sa vocation holistique.

Bibliography

GONZÁLEZ, Ondina E. & GONZÁLEZ, Justo L. Christianity in Latin America: A History (USA: Cambridge University Press, 2008)

JACOBSEN, Douglas. Global Gospel: An Introduction to Christianity on Five Continents (Grand Rapids, Michigan: Baker Academic, 2015)

POEWE, Karla O. Charismatic Christianity as a Global Culture (USA: University of South Carolina Press, 1994)

PRIEN, Hans-Jürgen. Christianity in Latin America: Revised and Expanded Edition (BRILL, 2012) ProQuest Ebook Central,

WIJSEN Frans and SCHREITER Robert. Global Christianity: Contested Claims (BILL, 2007), ProQuest Ebook Central


[1] Ondina E. González & Justo L. González: Christianity in Latin America: A History (USA: Cambridge University Press, 2008), P. xi

[2] Douglas Jacobsen, Global Gospel: An Introduction to Christianity on Five Continents (Grand Rapids, Michigan: Baker Academic, 2015), Scribd, p.138/427

[3] Ibid., p.140/427

[4] Hans-Jürgen Prien. Christianity in Latin America: Revised and Expanded Edition (BRILL, 2012), ProQuest Ebook Central, p.6 http://ebookcentral.proquest.com/lib/indwes/detail.action?docID=1081626

[5] Ibid., p.140/427

[6] Ibid., p.147/427

[7] Karla O. Poewe: Charismatic Christianity as a Global Culture (USA: University of South Carolina Press, 1994), p.75

[8] Jacobsen, p.150/427

[9] Jacobsen, p.150/427

[10] Jacobsen, p.126/427

[11] Frans Wijsen and Robert Schreiter. Global Christianity: Contested Claims (BILL, 2007), p.158, ProQuest Ebook Central

http://ebookcentral.proquest.com/lib/indwes/detail.action?docID=556494.
Created from indwes on 2022-12-13 13:09:11.

[12] Ibid., p168/427

[13] Jacobsen, p.165/427

[14] Ȯscar Romero. Voice of the Voiceless: Four Pastoral Statements and Other Statements, quoted by Jacobsen, Scribd, p.99

[15] Ibid., p.186/247

[16] Hans-Jürgen Prien, p.555

La figure contenue dans cet article est de Douglas Jacobsen

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