Vers une vision biblique de la politique

Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme. Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez… Genèse 1.27, 28

    « La politique est diabolique et les politiques sont corrompus. Par conséquent, le chrétien ne doit pas s’y mêler. Le chrétien est un citoyen céleste. Il n’a aucun devoir civique et citoyen à remplir. Contentons-nous de jouer notre rôle de sel et de lumière du monde sans nous impliquer dans la vie politique. » Voilà un résumé de ce que beaucoup de chrétiens pensent de la politique.

   Dans une certaine mesure, cette tendance d’écarter les chrétiens des affaires civiles, à tort ou à raison, plonge ses racines chez les anabaptistes depuis le début de l’histoire de l’Église. En voulant une vie paisible, beaucoup de chrétiens préfèrent s’écarter de la politique.

    Par contre, certains pensent que l’Etat et l’Eglise doivent s’entremêler. C’était une position soutenue par exemple par le réformateur Jean Calvin. Il proposait que l’Etat gouverne les questions de « la moralité externe, » et que l’Eglise gouverne les affaires de « l’homme interne », mais en incluant l’empêchement de péchés religieux comme faisant partie de la tâche du gouvernement civile.[1]

    Un nouveau disciple de Jésus actif dans la politique, doit-il s’y renoncer pour “servir Dieu?”  Explorons quelques pistes de réflexion. A vous d’en juger.

Essai de définition de la politique

    La politique c’est quoi ? D’abord, la politique est la science du pouvoir, la science du gouvernement de l’Etat. Sans ambages, certains théoriciens soutiennent qu’elle ne vise que la prise du pouvoir et sa conservation durable. Dans certains cas, quel que soit le régime en place, le rêve du politique en ce sens est réduit à se servir lui-même et non à servir le peuple qu’il est censé représenter ou qu’il est appelé à défendre et protéger. Il n’est préoccupé que par sa réélection ou par la conservation du pouvoir politique.

    Vu tout simplement à la loupe du leadership, une telle perception de la politique ne reflète en aucune manière la conception et le modèle de leadership de Jésus. Dans ce cas, ce sont les politiques qui sont corrompus ou c’est la politique elle-même qui est corrompue ?

    Voyons la définition étymologique du mot. Politique, du grec, « politikos », composé de « polis », signifiant « cité ou maison » et « ikos », signifiant « citoyen ». La politique est ce qui concerne le citoyen. Par extension, c’est l’art et la manière de gérer la cité, c’est-à-dire de gouverner. C’est plus que l’organisation du pouvoir ou la conduite des affaires publiques.

    La politique ne vise pas au premier plan la prise du pouvoir. C’est une définition classique, remontant à la Grèce antique. En fait, je dirais que la politique devrait être l’art de bien gérer la cité. Cette définition correspond parfaitement à la perspective biblique de l’intendance.

Origine de la politique ou de l’Etat

    Sans faire trop d’étalage, les théoriciens du contrat social, notamment Thomas Hobbes, pense que la nécessité de l’Etat est due au fait que l’homme est un loup pour l’homme. C’est-à-dire à l’état de nature l’homme est foncièrement mauvais, mais tous sont égaux. Pour se sentir en sécurité, les hommes délèguent leurs droits à un pouvoir absolu qu’il appelle Léviathan.

    Certains penseurs chrétiens, comme par exemple Henry Meeter soutient l’idée que l’Etat est une « conséquence naturelle » qui vient d’« une impulsion sociale implantée par Dieu en l’homme ».[2] Abraham Kuyper quant à lui évoque deux concepts clés pour parler de l’origine de l’Etat. Le concept de « développement mécanique » et celui du « développement organique» des institutions sociales.

    Pour Kuyper, théologien et ancien premier ministre néerlandais, les institutions qui se sont développées d’une façon organique sont nécessaires et naturelles. Par conséquent, elles se seraient développées sans même l’existence du péché. Par contre les institutions développées de manière mécanique n’existent qu’à cause du péché.[3]

Fonctions de l’Etat/ de la politique

    Jésus a dit: « A César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »[4]

    La déclaration de Jésus a préoccupé l’esprit de plus d’un. Parfois elle est servie comme un tremplin, soit pour soutenir l’idée que Jésus approuve la vocation du politique, soit pour écarter toute possibilité de mélanger le temporel du spirituel. Toute une théologie du politique est construite là-dessus.

    Notez bien qu’il s’agit d’une réaction à une question piège que des Hérodiens, partisans du roi installé par le pouvoir romain, ont posé à Jésus. Heureusement, Jésus a pu détecter très rapidement qu’il s’agit d’une manœuvre hypocrite. Que voulait insinuer Jésus en réalité par cette réaction ?

    Pour certains, les hérodiens ont posé la question parce qu’ils voulaient que Jésus se positionne, soit en faveur de César, soit en faveur de Dieu, c’est-à-dire clarifier une dichotomie entre le spirituel et le temporel. Pour ces Hérodiens, il n’y avait pas d’autres alternatives. Je pense que ces hommes voulaient trouver un chef d’accusation solide pour inculper Jésus au regard de la loi Romaine.

    La réaction de Jésus nous montre qu’il n’est pas question de jouer un tel jeu. C’est impossible de mettre Dieu sur un même pied d’égalité avec un chef politique. A Dieu seul soit la gloire, mais non à César. C’est la monnaie qui revient à ce dernier, c’est-à-dire les affaires civiles et politiques. Il ne s’agit pas d’un même ordre.

    Je partage l’avis de certains penseurs chrétiens comme Dr  Richard Ramay et Ravi Zacharias sur ce point. Ils pensent qu’en faisant une telle déclaration, Jésus veut montrer qu’étant donné l’effigie sur la monnaie est celle de César, un chef politique, il est normal que les citoyens soient soumis à lui en payant l’impôt. Mais puisque César a été créé à l’image de Dieu, il appartient à Dieu. Donc, le vrai propriétaire de la pièce est Dieu.

    Selon une autre théorie, le chrétien doit se soumettre aux autorités comme ayant un pouvoir second, par rapport à Dieu qui est l’autorité suprême. Dans ce sens, le pouvoir politique exprime la volonté de Dieu. Paul souligne : « Toute autorité vient de Dieu. »[5] Quelles sont les implications d’une telle pensée ?

    D’une part, Dieu contrôle toute chose et est au-dessus de tout pouvoir politique. Il est le commandant en chef. Le principe du pouvoir vient de Lui.

    D’autre part, le pouvoir politique est l’émanation d’un mode de gouvernance de Dieu sur la création. En d’autres termes, tout en cessant ses œuvres créatrices, Dieu continue à œuvrer activement dans l’univers. Il se sert des gouvernements humains pour gouverner l’univers.

Le magistrat/ politique comme serviteur de Dieu

    Paul affirme que le magistrat est serviteur de Dieu. A ce titre Dr Kuyper  soutient :

Le magistrat est un instrument de « grâce commune », pour contrecarrer toute licence et tout outrage et protéger le bien contre le mal. Mais il est plus. Outre tout cela il est institué par Dieu comme son serviteur, afin de pouvoir servir l’œuvre glorieuse de Dieu, dans la création de l’humanité, à partir de destruction totale.[6]

    L’épée du magistrat signifie que non seulement L’Etat a le monopole de la violence légitime, comme le disait  le sociologue Max Weber, pour réprimer les mauvaises actions, mais aussi pour approuver les bonnes. Il approuve les bonnes actions non seulement par l’établissement de la justice, mais aussi en assurant le « bonum commune », c’est-à-dire le bien commun. Cela implique que le citoyen chrétien doit se montrer coopérant avec les autorités en exerçant ses devoirs, comme payer ses taxes et impôts.

    Les autorités humaines sont chargées de bien gérer la cité. Dans le cas contraire, le chrétien ou le citoyen peut revendiquer ses droits jusqu’à la désobéissance civile s’il se rend compte que ce qu’exigent ces autorités sont contraires à la pensée révélée de Dieu. Dans ce contexte, il faut mieux obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, selon Actes 5.29.

La politique et le mandat culturel

    Une vision biblique de la politique est intimement liée au concept « mandat culturel » que Dieu a donné à l’être humain depuis le commencement de l’histoire de notre planète. Ce mandat était confié parce que l’homme a été créé à l’image de Dieu. Celle-ci comprend une dimension politique. Elle prend en compte le fait que l’homme soit gérant de la création, chargée de la garder et cultiver. Dans ce contexte, Michael Novak, dans The Spirit of Democratic Capitalism, cité par Darrow Miller, écrit :

La création, laissée à elle-même, est incomplète, et les êtres humains sont appelés à être co-créateurs avec Dieu et à faire émerger les potentialités cachées par le Créateur. La création est pleine de secrets en attente d’être découverts, d’énigmes que l’intelligence humaine doit résoudre. Le monde n’est pas sorti de la main de Dieu avec toutes ses richesses : ce sont les humains qui ont pour vocation de se les approprier.[7]

    La gestion de la création passe par un mode de gouvernement humain avec qui Dieu collabore. En ce sens, la foi chrétienne n’est pas contre la gestion de l’espace social par la politique.

    Notre appel à jouer la double fonction sel et lumière sur la terre implique nécessairement notre engagement et implication politique, non seulement comme acteurs, mais aussi comme bons citoyens.

    Nous ne pouvons pas nous croiser les bras et nous plaindre de la corruption, de la violence, de l’avortement, du mariage pour tous, du racisme, du trafic d’êtres humains et de la dégradation de l’environnement qui gangrènent nos sociétés. Le Dr. Martin Luther King a dit : « Ce qui m’effraie ce n’est pas l’oppression des méchants, mais l’indifférence des bons. »

    Luc Olekhnovitch, face à la question : quand nous voyons le mal ou une injustice commis devant nous, comment réagissons-nous ?, nous met en garde contre la tentation du conformisme social et la tentation d’un conformisme de la rébellion.[8] La première consiste à afficher une attitude d’indifférence quand le mal de l’autre ne touche pas personnellement à nos intérêts. La seconde concerne une attitude d’opposition de principe à tout ce qui est pouvoir sans aucun discernement.

    Pour éviter tout « complexe marsouin », le prophète Jérémie était appelé à convaincre les Juifs retenus captifs à Babylone de rechercher le bonheur de la ville. Car le leur en dépendait logiquement et réellement.[9]

    La politique est noble. La laisser uniquement entre les mains de ceux qui n’ont pas la crainte de Dieu, comme nous le faisons souvent pour la culture, nous serons frappés de plein fouet par la deuxième loi de la thermodynamique : entropie.

     Cette loi stipule que le désordre dans tout système isolé croît inévitablement et irréversiblement avec le temps. En d’autres termes, tout ce qui n’est pas entretenu finira nécessairement par tomber en désuétude. C’est normal que le pouvoir politique tombe en désuétude s’il n’est pas entretenu par des hommes et des femmes qui sont convaincus qu’ils sont non seulement serviteurs de Dieu et des hommes, mais aussi qu’ils sont placés pour améliorer la vie sur terre.  

    En fin de compte, avec une bonne conscience, le disciple citoyen doit jouer sa partition pour rendre la vie en société plus harmonieuse et enviable. Que ce soit un agent actif ou pas de la politique, l’image politique qu’il porte en lui le contraint à rendre gloire à Dieu en tout et partout comme intendant. Car, une vision biblique de la politique est intimement liée au concept « mandat culturel.»

    Cependant, l’Etat (la politique) et l’Eglise comme institutions restent et demeurent deux sphères sociales différentes avec des fonctions différentes, mais non deux ennemies.

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Cet article est tiré du  18ème chapitre de mon ouvrage Faiseur de disciples ou Faiseur d’aliénés ? Petit traité d’éducation chrétienne du nouveau disciple, disponible sur Amazon. Il (le chapitre) a été retouché pour être adapté à tous les chrétiens.   

[1] Institutes, IV, XX, 1, cité par Dr Richard Ramsay, p. 58

[2] Basic Ideas of Calvinism (Les Idées Fondamentales du Calvinisme), cité par Dr Richard Ramsay, p. 55

[3] Abraham Kuyper, Lectures on Calvinism, “III. Calvinism and Politics.” (Conférences sur le Calvinisme, «III. Le Calvinisme et la Politique »), donnée à Princeton, 1898. (http://www.kuyper.org/stone/lecture3.html), visité le 15 Juillet 2020.

[4] Marc 12.13-17

[5] Romains 13.1-7 ; Marc 12.13-17

[6] Op.cit., p.52, 53

[7] Darrow Miller. Faites des nations mes disciples : clés pour une réforme de nos sociétés, Editions Jeunesse en mission, 2008, p.150

[8] Alain Nisus (dir.). Pour une foi réfléchie : Théologie pour tous, Ed. La Maison de la Bible, Allemagne 2011, p.802

[9] Jérémie 29.7

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