Encore une fois Haïti est de retour sur les écrans. Encore une fois, ce petit pays de 27,750 km2 fait la une des journaux nationaux et internationaux. Un focus ponctué sur un malheur en plus, un malheur de trop dans un contexte sociopolitique tumultueux et suffocant, notamment après l’assassinat brutal du président Jovenel Moïse le 7 Juillet 2021. Dans ce contexte, un appel à un renouvellement de pensée est une nécessité.
Si le séisme dévastateur du 12 janvier 2010 laissait certains dans l’hésitation à conclure qu’Haïti est une terre maudite, ce 14 août marquant la célébration de la cérémonie du Bois caïman pousse beaucoup à faire une telle conclusion. Trop de tragédies, trop de catastrophes, trop de faits sociaux répugnants, trop de nuages sombres obscurcissent le ciel d’Haïti.
En réalité, ce 14 Août aurait dû être un temps de méditations et de grands débats constructifs sur l’urgente nécessité de rassembler le peuple haïtien autour d’un projet digne de société. De très tôt, certains ont commencé déjà à poster des tableaux artistiques de la cérémonie, faisant éloge des valeureux esclaves de Saint-Domingue en quête à tout prix de liberté et de dignité humaine. Possiblement des gerbes de fleurs étaient déjà disposées à être déposées, des chorégraphies allaient se produire, des ‘’ live’’ étaient en préparation et de beaux discours ont été déjà rédigés pour souligner avec allégresse l’unité historique qui existait entre nos ancêtres pour renverser à tout jamais l’oppression infernale, injuste et inhumaine des colons français.
Hélas, une faille, possiblement la faille Enriquillo, a décidé le contraire. Un phénomène naturel, géologique a décidé de planter un autre décor, un décor de sang, de draps blancs, de petites croix, de lamentations, de gémissements, de grincement de dents, de cris désolants et d’horreur. Que cette plaque tectonique soit maudite !
Ce séisme de magnitude 7.2 ravageant le grand Sud de l’île plonge les familles haïtiennes dans un long film d’horreur qui fera pourtant le bonheur trompeur de quelques-uns, comme ce fut le cas en 2010. De nouveaux riches émergeront des décombres. D’autres zéros s’ajouteront impitoyablement à certains comptes bancaires pour enfin envenimer le désespoir d’un peuple assoiffé, affamé, déboussolé, malmené et mal-aimé.
Deux jours après la catastrophe, la tempête tropicale Grace plantait son décor sans accorder aucune grâce aux sinistrés. Des pluies diluviennes ont fait fusion avec des larmes amères pour fissurer cruellement les esprits. Pour acheminer l’aide, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, le gouvernement a dû négocier avec les gangs armés sans entrailles de miséricorde de Martissant afin de permettre le passage sans crainte de deux convois humanitaires par jour. A noter que ce quartier se trouve sur la route nationale numéro 2 reliant la capitale au Sud du pays.
Alors, ne sommes-nous pas en droit de conclure que le peuple haïtien est maudit ? N’est-il pas plus logique et plus aisé de penser que ce peuple est sûrement en train de payer une dette karmique au Tout-Puissant alors que les appels à la prière sont partout lancés ?
Si le peule haïtien est maudit, par qui le sort a-t-il été jeté ? Qui l’a-t-il voué à la damnation ? Dieu ? Ses dirigeants et leurs complices nationaux et internationaux ? Le Vaudou ? Sa vision du monde ?
Dieu ne saurait choisir de punir Haïti simplement par ce qu’il est la première république noire indépendante du monde. Dieu ne saurait se réjouir dans le malheur de tout un peuple sous prétexte qu’il serait la nation la plus corrompue, la plus souillée, la plus malveillante et pécheresse du globe.
Considérant l’univers créé, notamment la planète terre, force est d’admettre que la pauvreté et le sous-développement sont tout à fait contraire au plan et à la volonté de Dieu pour les peuples de la terre. Dieu veut plutôt que la terre (d’Haïti) soit remplie de sa connaissance et de sa gloire. Il est attristé quand Il voit que le peuple haïtien n’arrive toujours pas encore à découvrir les énigmes qu’Il cache dans la nature en vue de son développement. Il désire que ce peuple parte en conquérant des richesses qui sont dans son sous-sol, ses plaines et vallées, les plantes, les animaux, la mer et surtout dans chaque haïtien et haïtienne. Car en réalité l’être humain est la véritable ressource.
Dieu est attristé parce que ses secrets meurent faute de connaissance, de leadership transformationnel, de plan de développement et d’urbanisation et de projet de société capable de redresser la barque d’un pays qui se cherche encore après 217 ans d’indépendance. Dieu n’a pas maudit Haïti. Au contraire Il l’a béni de magnifiques plages, d’une terre fertile et des hommes et des femmes dotés de cerveaux pour réfléchir et créer de la richesse. Qu’est-il du Vaudou ?
Le vaudou n’est pas le responsable de la crise et des tragédies qui frappent Haïti. L’invocation des esprits lors de la cérémonie du Bois caïman par nos ancêtres pour leur venir en aide n’est pas un indice absolu d’un sort qui aurait été jeté sur le pays. Dieu est l’auteur de toute vraie liberté, peu importe le procédé et le contexte historique et socio-culturel. Il n’y a pas plus d’esprits invoqués sur le sol haïtien que sur le sol américain, considérant la multitude de sociétés secrètes, de sectes et de sorciers qui y opèrent.
Si le Vaudou est le facteur de malédiction d’Haïti, qu’en est-il de l’Eglise ? Si l’Eglise n’a pas réussi a porté un discours capable de formater des chrétiens haïtiens en citoyens conscients et engagés dans la recherche du bonheur du peuple dans sa globalité, elle est tout aussi coupable de la damnation.
Il faut aussi rechercher les causes du ‘’ malheur haïtien’’ dans les visions du monde qui ont la voix au chapitre dans le pays. La vision du monde du vaudou parvient-elle à développer une vision équilibrée de l’être humain, du développement, de la richesse et surtout de la nature ?
Une vision du monde qui prône la peur de la nature sous prétexte qu’elle serait habitée par des esprits ne peut réussir à inciter un peuple à dompter cette nature pour créer un cadre de vie normal. Une vision du monde de ‘’si Dieu le veut’’ et de fatalisme ne peut en aucun cas ouvrir les yeux d’un peuple sur sa responsabilité à changer ses conditions de vie.
Si la foi chrétienne prônée en Haïti ne parvient pas à faire lever un jour nouveau sous le ciel haïtien dans un contexte de croissance rapide des églises, c’est parce que soit cette foi a été mal enseignée, mal transmise, soit qu’elle a été mal comprise ou non pratiquée.
Si les chrétiens haïtiens parvenaient à comprendre qu’ils ont été créés par Dieu, par conséquent qu’ils sont innovateurs, créateurs, inventeurs, architectes de leur destin, transformateurs, mathématiciens et agents de changement, ils auraient certainement un impact positif à l’échelle du pays.
Si les chrétiens haïtiens parvenaient à comprendre que l’amour de la patrie n’est pas allergique aux enseignements bibliques, que l’implication à tous les niveaux dans la vie nationale dans la recherche du bonheur de tous et de toutes, ils changeraient leurs discours, leur mode de vie, leur façon de penser. En fin, s’ils comprenaient que la nature n’est pas dieu, par conséquent elle peut être étudiée, comprise, ils se mettraient avec acharnement au travail pour faire bénéficier à chaque haïtien les richesses naturelles que Dieu a généreusement octroyé à Haïti. Si seulement ils comprenaient cette affirmation d’Abraham Kuyper, ancien premier ministre néerlandais, réformateur chrétien :
Nous sommes, avec notre propre nature humaine, placés dans la nature non pas pour laisser cette nature telle qu’elle est, mais avec un désir ardent et un appel intérieur à la façonner, au travers de notre habileté humaine, afin de la remplir de possibilités et de la perfectionner… L’habileté humaine agit dans chaque domaine de la nature, non pas pour détruire sa vie, encore moins pour y juxtaposer une autre structure, mais pour révéler le pouvoir qui se trouve caché en elle ; et aussi pour réguler la détermination qui en surgit.[1]
Qu’en est-il des dirigeants haïtiens ?
Les dirigeants haïtiens, avec leurs complices nationaux et internationaux, qui par leur vénalité, leur méchanceté, leur corruption et surtout leur haine, ont réussi au fil des ans et à chaque grandes occasions à transformer l’ancienne perle des Antilles en terre torride, infernale et détestable à mourir.
Le malheur haïtien est le fait de n’avoir pas eu et de n’avoir pas les leaders qu’il mérite. Ils n’ont jamais été à la hauteur d’une histoire aussi glorieuse qui pouvait s’ériger avec la tête altière en perle touristique et manne pour d’autres peuples de la terre.
Tout le monde, encore plus les dirigeants, sait qu’Haïti est traversé par des failles sismiques. Tant qu’Haïti existe, ces failles ne disparaîtront pas. C’est une réalité avec laquelle les haïtiens doivent vivre, comme les Japonais. Alors, de 12 Janvier 2010 à 14 Août 2021, qu’est-ce qui a été fait en terme de plan d’urbanisation et de code de construction pour construire autrement et mieux ? Rien. Alors, Dieu n’est pas responsable. Jamais Il n’utilisera le cerveau de l’homme haïtien et de la femme haïtienne à leur place. Pourtant, dans chaque tragédie, Dieu parle. Il suffit de comprendre le message qu’Il veut faire passer pour agir en conséquence.
Si les tragédies, les catastrophes naturelles et humaines, les déboires socio-politiques ne sont pas une fatalité, les choses peuvent changer. Mais faut-il d’abord que l’homme haïtien change pour ensuite changer la société haïtienne, mais non l’inverse. Il est temps de revoir notre système de pensée pour créer la richesse matérielle et l’éducation. Car, comme le souligne Darrow Miller, les conditions matérielles ne justifient pas à elles seules la pauvreté. Celle-ci est la conséquence d’une trame de mensonges qui ligote les gens, tant sur le plan personnel que social et culturel.[2] Il est temps que le peuple haïtien parvienne à briser les tissus de mensonges qui le lient à tous les niveaux. Il est temps qu’il remette en question les récits dans lesquels il croit et qu’ils racontent à ses enfants. Un renouvellement de pensée s’impose.
[1] Abraham Kuyper. Christianity and the Class Struggle, Grand Rapids, Michigan: Piet Heirr Publishers, 1950, p.19
[2] Darrow Miller. Faites des nations mes disciples : Clés pour une réforme de nos sociétés, Editions Jeunesse en mission, 2008, p.72