La prière est pour la religion ce qu’est la recherche pour la science. P.T. Forsythe
La prière fait partie intégrante de tout système religieux et de toute spiritualité. Il est impossible de se dire spirituel sans la pratique de la prière. Si cela est théoriquement la norme, dans la pratique, beaucoup doutent encore de la pertinence de cette pratique dans un monde qui subit de plus en plus l’influence d’une conception philosophique qui tente de placer l’être humain au centre de tout jusqu’à clamer qu’il est son propre dieu. Dans cet article, nous nous proposons d’élucider, d’une part, la nature de la prière, et d’autre part, de démontrer l’impact que la pratique de cette discipline spirituelle devrait avoir sur nos relations humaines.
La nature de la prière
Cité par Mulholland, Henri Nouwen caractérise la nature de la prière en ces termes :
Dans une situation où le monde est menacé d’anéantissement, la prière ne signifie pas grand-chose quand nous l’entreprenons seulement comme une tentative d’influencer Dieu, ou comme une recherche d’un abri spirituel contre les retombées, ou comme une offrande de réconfort dans des temps de stress. La prière est l’acte par lequel nous nous dépouillons de tous les faux biens et devenons libres d’appartenir à Dieu et à Dieu seul. [1]
Ainsi, la prière n’est pas un exercice de soumission de Dieu à notre volonté, mais plutôt un moyen de communiquer avec Dieu dans le cadre d’une relation.
La prière, décrite comme une relation fondée sur un amour sincère et partagé, exprime la nécessité pour l’être humain (le chrétien) de développer une relation quotidienne de dépendance totale à l’égard de Dieu. Cette réalité de l’humilité nous permet d’être unis à Dieu, mais pas de devenir Dieu, et nous ouvre les yeux sur le cœur de Dieu, c’est-à-dire sur la façon dont Il voit le monde et sur la façon dont Il veut que nous nous joignions à Lui dans ce qu’Il fait. À cela, Mulholland poursuit :
La prière est l’acte par lequel le peuple de Dieu s’incorpore à la présence et à l’action de Dieu dans le monde. La prière devient une offrande sacrificielle de nous-mêmes à Dieu, pour devenir des agents de la présence et de l’action de Dieu dans les événements et les situations quotidiennes de notre vie. [2]
Dans ce contexte, la dimension relationnelle et communautaire de la prière nous invite à regarder le passé d’hommes et de femmes qui ont développé une intimité avec Dieu à travers la prière et à nous nourrir de ces immenses richesses. Dans le contexte du corps (église locale), chaque enfant de Dieu trouve un cadre de croissance spirituelle qui encourage la prière ou simplement la recherche de la présence de Dieu. C’est pourquoi, dans Jean chapitre 17, Jésus intercède en faveur de ses disciples auprès de son Père pour cimenter la relation entre les disciples, car Lui et le Père ne font qu’un. Mulholland l’explique plus clairement comme suit :
La communauté de foi est le moyen principal et essentiel par lequel les croyants individuels sont éduqués à comprendre et à vivre leur vie en tant que citoyens de la Nouvelle Jérusalem de Dieu au milieu d’un monde Babylone déchu. [3]
La prière comme discipline spirituelle
Être spirituellement discipliné ne concerne pas ce que nous faisons pour que Dieu nous transforme, mais plutôt notre volonté ou notre responsabilité d’obéir à Dieu et de compter sur l’œuvre du Saint-Esprit en nous. A ceci, Robert Mulholland écrit :
Nous avons tendance à penser que les disciplines spirituelles sont quelque chose que nous faisons pour nous transformer, pour rendre vivant notre « corps de mort ». Il n’y a que celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts qui puisse faire sortir la vie de la mort (Rm 8, 11).[4]
Richard Foster abonde dans le même sens quand il écrit :
Prier, c’est changer. La prière est la voie centrale que Dieu utilise pour nous transformer. Si nous ne sommes pas disposés à changer, nous abandonnerons la prière comme caractéristique notable de notre vie.[5]
Ainsi, la prière en tant que discipline spirituelle, est présentée comme le don de ce que nous sommes à Dieu. Ce don de soi entre en conflit avec ce que Dieu veut que nous soyons. En d’autres termes, c’est un exercice difficile d’accepter de renoncer à nos désirs et aux inclinations de notre cœur pour être en accord avec le projet de Dieu dans notre vie. Ce point est de nature révolutionnaire dans la mesure où beaucoup ont tendance à considérer la prière comme un exercice spirituel ou une discipline qui cherche à soumettre la volonté de Dieu à notre volonté, parfois par le chantage (spirituel). Ce n’est que de la manipulation. Dans un contexte où l’individualisme et l’autosuffisance sont prônés, être d’accord avec Dieu dans la prière n’est pas si simple.
La prière devrait plutôt refléter notre attitude de dépendance à l’égard de Dieu. Nous ne pouvons pas faire fléchir Dieu. Cela me rappelle la prière appelée le Notre Père que notre Seigneur Jésus a enseignée à Ses disciples. Dès le commencement, Dieu est traité comme notre Père. Cela signifie qu’Il a autorité sur nous et que nous dépendons de Lui. Nous vivons et expérimentons cette dépendance dans la dynamique de notre interdépendance et de notre interconnexion dans le corps du Christ. C’est pourquoi Mulholland écrit :
La croissance holistique à l’image du Christ pour le bien des autres est une réalité corporative et sociale.[6]
La prière comme réalité corporative et sociale
Le croyant qui pratique une spiritualité privatisée court un grand danger. Mulholland poursuit :
La spiritualité corporative est essentielle, parce que la privatisation façonne toujours une spiritualité qui, d’une certaine manière, nous permet de garder le contrôle de Dieu. En l’absence de frères et sœurs pour nous demander des comptes, nous travaillerons puissamment pour maintenir ce contrôle. [7]
C’est dans ce contexte que Richard Foster, en parlant de la discipline de la solitude, écrit :
Comme Jésus, nous devons nous éloigner des gens pour que nous soyons vraiment présents quand nous sommes avec eux. [8]
Si notre spiritualité nous éloigne de nos semblables, à quoi sert-elle en réalité ?
Il existe un sérieux problème dans notre relation avec Dieu quand nous replions sur nous-mêmes pour vivre notre spiritualité. Cela nous prive des ressources nécessaires des autres qui pourraient nous aider à grandir. Par exemple, personne n’est dans nos vies à qui nous pourrions rendre compte et avec qui partager nos luttes spirituelles. Nous devons réaliser que peu importe la bonne volonté qui peut nous animer, nous ne pouvons pas grandir sans le soutien des autres. Selon Mulholland,
Ce n’est que dans le corps du Christ que nous sommes constamment mis au défi de permettre à Dieu de contrôler la relation que nous avons avec Dieu. En fait, ce n’est qu’en tant que cellules vivantes dans le corps du Christ que nous pouvons vraiment permettre à Dieu d’être aux commandes.[9]
Conclusion
Puisque Dieu nous a choisi (voir Jean 15 :16), nous devons être convaincus que l’œuvre qu’Il veut accomplir dans nos vies n’est possible que si nous Le laissons contrôler toute notre vie. Dans certains domaines, nous agissons parfois en tant que capitaines. Nous vivons nos luttes seuls, en pensant que nous pouvons tout changer. Mais nous avons combien tort ! Celui qui nous a choisi est assez fidèle pour nous aider à aller jusqu’au bout. Choisissez de Lui faire confiance et de grandir comme membre d’une communauté de croyants appelés à vivre pour la gloire de notre Maitre. C’est alors que nous pourrons dire comme Martin Luther : « J’ai tellement de choses à faire que je ne peux pas sortir sans passer trois heures chaque jour dans la prière. »
[1] Robert Mulholland Jr. : Invitation to a Journey : A Road Map for Spirituelle Formation (Illinois : InterVarsity Press), Scribd, p. 129/259
https://www.scribd.com/book/377940265
[2] Ibid., p. 131/259
[3] Ibid., p. 132/259
[4] Ibid., p. 161/259
https://www.scribd.com/book/377940265
[5] Richard J. Foster. Celebration of Disciplines: The path to Spiritual Growth, p.33
[6] Mulholland, p.174/259
[7] Ibid., p. 186/259
https://www.scribd.com/book/377940265
[8] Richard J. Foster, p. 108
[9] Ibid., p. 196 et 259